Comprendre les autres dans leurs réactions et besoins
10 juin 2024Vous avez dit « en mode Pompier ? »
14 juin 2024Vive le mode Pompier !
Il était cocasse de m’apercevoir que l’expression « en mode Pompier » très souvent utilisée en entreprise n’est pas connue des Sapeurs-Pompiers !
Quels process et fonctionnements de management et de gestion des émotions sont utilisés en intervention et ont prouvé leur efficacité ? Comment gérer les temps d’urgence et les temps en amont et en aval ?
=> Nous proposons de nous inspirer des Sapeurs-Pompiers pour repérer quelques idées d’amélioration de nos fonctionnements en entreprise.
Ainsi questionner d’un peu plus près le syndrome du « mode Pompier » qui décrit en entreprise l’agitation inefficace, la gestion de l’urgence court terme au détriment de l’important moyen et long terme. Expression empruntant leur nom et stigmatisant un monde où les temps d’urgence ne sont, précisément, pas subis.
Cet article est écrit conjointement avec le SDIS (Service départemental d’incendie et de secours) de la Drôme. Etant SPV (Sapeur-Pompier Volontaire) au Centre de Valence, j’ai sollicité mes collègues en caserne, en commandement et au CTA (Centre de Traitement de l’Alerte, réception des appels 18 et 112) – CODIS (Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours) pour recueillir leur vision et explorer nos bonnes pratiques.
Il s’agit tout d’abord de savoir identifier si nous sommes en situation d’urgence.
La première étape sera donc une phase d’observation et de prise d’informations. Chez les SP, « l’effet tunnel » est un risque bien connu. Dans l’urgence, il peut arriver de ne plus voir les informations de notre champ de vision périphérique. Nous avons des techniques pour revenir au calme et à la prise de recul nécessaire, tel que poser un genou au sol en incendie nous obligeant à un moment d’immobilisme ou de prendre un contact physique (main sur l’épaule, devant le visage) avec un collègue qu’il faudrait amener à un temps de recul.
Ne pas se fier aux apparences. Les SP savent, par exemple, qu’entre le ticket de départ (ordre de mission qui déclenche le bip) et la réalité du terrain, il peut souvent y avoir un gros écart.
Dans ces moments, plus que jamais, il faut que la communication puisse être claire et libre. Liberté de demander des précisions ou confirmations sans besoin de mettre les formes.
Les modèles d’activité les plus utilisés pour cela chez les SP sont la boucle OADA (Observer, Analyser, Décider, Agir) et la BGED (boucle de gestion des environnements dynamiques). Elles sont présentées ci-dessous.
=> En situation de crise, prendre le juste temps nécessaire pour comprendre la situation AVANT d’agir.
Le risque serait de se lancer à agir sans avoir fait le tour de la situation.
=> Prendre également en compte les idées de chacun. Toute l’équipe concernée peut avoir un point de vue éclairant.
Incendie de Romeyer (26) été 2022.
Prise en compte de la situation PUIS action
1. Si urgence => Objectif : Stabiliser une situation dégradée.
Quand on entre réellement dans l’urgence, il n’y a plus la place pour la sollicitation de l’avis de chacun. Il faut un leader/responsable qui tranche et prononce les ordres pour lancer l’action corrective rapidement. On passe sur un mode de communication plus vertical et directif.
Il s’agit de faire un choix de stratégie et de décision rapide. Pour cela les SP ont des doctrines, référentiels et process. Chez nous, les fonctions et les grades donnent la responsabilité. En entreprise, l’expérience et les rôles laisseront, intuitivement, cette place de décision.
Voici un exemple de fonctionnement sur une intervention d’ampleur. Les informations suivantes seront notées par écrit par le chef de colonne pour être transmise aux niveaux de commandement inférieurs :
=> Notons l’importance de poser ces informations par écrit pour les diffuser largement avec l’équipe en toute transparence.
=> Si l’urgence n’avait pas été identifiée (via une analyse des risques ou une matrice SWOT par exemple), il faudra, dans l’immédiat, prendre le rôle de chef d’orchestre, puis, dans un deuxième temps, palier le flou en prévention d’une éventuelle prochaine situation de crise. Il s’agit de mettre en place un RETEX (RETour d’EXpérience) par exemple.
2. Pas d’urgence : On peut rester dans un mode de fonctionnement plus classique.
Laisser de la liberté et autonomie à chacun, tout en gardant les modes de remontée d’information et de contrôle (indicateurs, réunions régulières).
On peut rester sur un mode de communication plus horizontal dans l’écoute et l’accompagnement.
Les bases du commandement issues du monde militaire :
- Je ne donne d’ordre qu’à 4 personnes maximum
- Je vérifie leur application
- Je ne rends compte qu’à 1 personne
On peut diriger une intervention d’ampleur massive avec ce fonctionnement.
=> Si vous avez une grande équipe à diriger, il est important de pouvoir vous adresser à tous pour partager la stratégie générale puis d’avoir des relais managériaux pour la gestion des équipes au quotidien.
L’importance de l’adaptation en fonction des personnes et du feedback
Chez les SP aussi, même si les procédures sont les mêmes pour tous, il y a une part de variabilité d’application en fonction de chacun pour un résultat identique. C’est la réalité du quotidien qui demande toujours une boucle d’adaptation continuelle PDCA (Plan/Do/Check/Act).
=> Une casse machine, une absence seront mieux gérées si anticipées par redondance ou backup mais tout n’est pas prévisible. Il faudra s’adapter à l’image du roseau qui plie au vent plutôt que de rompre.
De retour en caserne ou en fin d’intervention ou lors des points hiérarchiques, la réussite collective est valorisée au travers du travail de chacun (mise en avant des actions collectives et individuelles) pour renforcer la confiance des équipes et aussi resserrer les liens.
=> L’importance du Feedback ne sera jamais trop rappelée.
=> Voici un lien vers un article qui reprend ces éléments : Le temps du feed-back pour éviter l’erreur relationnelle
C’est aussi après intervention que les recadrages auront lieu lorsque nécessaire. Le but sera d’amener la personne à identifier ses marges d’amélioration en rappelant les faits et en cherchant à comprendre ce qui a posé problème et doit être amélioré.
Gestion des émotions dans l’urgence
Bien sûr, chacun aura une sensibilité différente (par exemple par rapport à une victime en bas âge, une intervention en hauteur, un incendie, une détresse psychologique…), nous avons tous nos talents, nos talons et sensibilités propres. A chacun de se connaitre autant que possible…
En tout état de cause, ce qui ressort unanimement est de rester focalisé sur l’action en situation de tension émotionnelle. Regarder le petit pas suivant qui peut être fait en se raccrochant au process approprié. Le risque serait de reste en recul et prendre le temps de réfléchir à l’ampleur du sinistre, de ses conséquences et de rester en sidération.
=> Apprenons à ne faire qu’une seule chose à la fois ! Cela peut paraitre contre-intuitif dans la frénésie de l’urgence. C’est pourtant le comportement le plus efficace et rassurant à adopter !
Dans ces cas, il est d’autant plus important de ne pas négliger la phase d’après, de décompression. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur le collectif et sur un soutien psychologique post-opération qui est déclenchable sur simple demande du SP, de son chef lors de l’intervention ou de tout autre hiérarchique.
=> En entreprise, il s’agit de prendre en compte les RPS (Risques Psycho-Sociaux) qui d’ailleurs, depuis le décret du 18 mars 2022 de la loi Santé au Travail, doivent obligatoirement être développés dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP).
Vaste sujet, voici un article de l’INRS si vous souhaitez développer le thème : https://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html
Même chez les Sapeurs-Pompiers, cette notion de prise de risque a évolué puisque la devise « Sauver ou périr » est devenue « Courage et dévouement » tout aussi emprunte de valeurs morales mais plus mesurée dans la prise de risques.
S’entraîner : Le meilleur moyen d’être prêt.
Les Sapeurs-Pompiers intègrent dans leur quotidien opérationnel, des entrainements physiques, techniques et tactiques. Nous appelons cela FMPA (Formation de Maintien et de Perfectionnement des Acquis) ou manœuvres ou tout simplement les échanges informels que nous pouvons avoir autour d’un café sur le déroulé d’une intervention. Tout cela contribue à anticiper, se projeter (visualisation, préparation mentale) et répéter des comportements et gestes qu’il faudra effectuer rapidement, quasi machinalement (actions réflexe) en situation de crise.
Les répétitions de gestes sont également le meilleur moyen d’entrainer notre reflexe reptilien car en situation d’urgence, il n’y aura pas la place pour la réflexion poussée. Et cela permettra également de mieux gérer nos émotions sur le moment.
Minimiser les risques inerrants au métier implique également une hygiène de vie guidée par un entretien physique, mentale et émotionnel de chacun.
=> Dans votre entreprise, quelles routines / rituels avez-vous mis en place pour contribuer à donner des repères à vos équipes ? Pour contribuer au bien-être au travail ?
=> Avez-vous également mis en adéquation le plan de formation de vos équipes avec les besoins de développement de compétences liés aux risques auxquels ils sont confrontés (management, gestion des conflits, …).
Tout cela contribue à l’anticipation et l’entraînement en situation calme pour se préparer au mieux.
Management / Commandement : les valeurs
Même dans ces situations de crise et ces difficultés doivent toujours rester les valeurs qui nous rassemble.
Voici ce qui est ressorti dans le commandement chez nous :
- Transparence
- Sincérité
- Coordination
- Bienveillance
=> Avez-vous défini les valeurs qui vous lient dans l’entreprise ?
En conclusion, nous nous apercevons qu’il y a beaucoup de parallèles possibles entre le fonctionnement d’un service de secours et celui d’une entreprise.
La différence majeure vient du fait que les SP sont naturellement confrontés à l’urgence alors qu’en management, le but est de minimiser ces urgences.
Au global, les process sont proches.
N’oublions pas que ce « mode Pompier » si subit trop souvent est épuisant. Il s’agit d’un symptôme qui doit nous alerter sur un angle mort, une éventuelle défaillance ou un process non rodé.
Gardons le calme de gérer les problèmes immédiats et la lucidité de stabiliser les fonctionnements pour la suite. Préparons-nous au mieux et enfin, acceptons une part d’imprévu.
Pour aller plus loin :
- Manageur accompagnateur : porter le sens et faciliter la performance
- Animateur d’équipe : Animer son équipe au quotidien
- Gérer son temps et ses priorités : Sortir du « je n’ai pas le temps »
- Se connaître et comprendre les autres pour coopérer : EI-04
- S’affirmer et favoriser la coopération : TC-01 Améliorer sa communication
Selma BENHAMOU : Consultante et formatrice en Gestion de projet et en management de la Qualité, Sécurité et Environnement.
Après plusieurs années de travail dans l’industrie en gestion de projets techniques et QSE, un licenciement économique m’a permis de me lancer à mon compte pour accompagner les petites et moyennes entreprises du tissu économique local à se mettre en conformité avec leurs objectifs ou avec la réglementation. Mais surtout à y trouver un intérêt pas uniquement financier mais aussi humain, social et sociétal.
J’accompagne et je forme aujourd’hui dans ces domaines qui me tiennent à cœur avec écoute et bienveillance.
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