La richesse de la différence

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Changer de regard

A la veille des jeux paralympiques, c’est le temps de re-publier cet article de 2022 et toujours d’actualité.

J’ai rencontré Ludivine Munos lorsqu’elle était DRH. A l’époque, j’avais été en connexion immédiate avec la simplicité, l’authenticité et la volonté de Ludivine.

Femme aux multiples vies (Championne paralympique multi-médaillée aux jeux  de 1996, 2000 et 2004 ; Directrice des Ressources Humaines d’un grand groupe ; Responsable de l’intégration paralympique au sein du comité d’organisation des Jeux de Paris 2024 ; Maman), Ludivine est une interlocutrice privilégiée pour ce numéro du Com-Hom News dédié à la richesse de la différence, par sa volonté de faire bouger les lignes de la différence dans la société Française.

Ludivine Munos :

Par rapport au thème du magazine, la nageuse que je suis a essayé d’utiliser sa différence pour en faire une force. Ma différence, est souvent représentée par une forme de lenteur ou par le non accès à certaines activités. En grandissant, j’ai eu encore plus de mal à trouver ma place dans une société qui finalement parle d’esthétique par la symétrie, développe le culte de la performance en lien uniquement avec le résultat. Cette incompréhension s’est transformée  en colère. Cette colère me transcendait et me donnait la force de dépasser toutes les limites. Et dans l’eau, pour une fois, sur une activité motrice, je n’étais plus la dernière.

A travers mon engagement au sein de Paris 2024, j’ai décidé de participer à ce gigantesque projet où la différence est la raison d’être : Les jeux paralympiques ! La possibilité, dans cette parenthèse de carrière de cultiver la différence, d’en faire mon métier. Mon objectif est de la faire comprendre, de partager le fait que l’on peut être talentueux malgré une différence.

Com-Hom

Qu’est-ce qui est pour vous ajusté aujourd’hui dans le regard porté sur le handicap et qu’est ce qui doit vraiment évoluer ?

Ludivine Munos

Je suis en désaccord avec les personnes qui soutiennent qu’il y a une forme de mépris par rapport aux personnes en situation de handicap. Il y a de la bienveillance. Le problème vient surtout d’une méconnaissance des difficultés que le handicap peut générer dans la vie quotidienne.

Par exemple, dans le métro, si je suis sans béquille les gens ne me laissent pas m’assoir, même si je demande en expliquant que j’ai une prothèse. Quand le métro démarre, je suis en galère, je bascule et du coup les gens se poussent. Avec une béquille, cela change le regard et tout le monde se lève.

Les personnes sont dans leur monde et n’écoutent pas leur environnement. Si le visuel est absent, il n’y a pas d’adaptation à l’autre. C’est par cette volonté d’ouverture à l’autre, d’attention bienveillante du regard envers l’autre que je me suis engagée avec Paris 2024.

Quand les gens connaissent votre handicap (comme par exemple dans mon ancienne activité professionnelle), il n’a plus d’impact dans le quotidien professionnel. La relation devient naturelle car les personnes ne font plus état de votre différence. Ils connaissent votre fragilité  et les seules situations qui nécessitent une adaptation de leur part.

Le secret pour développer la richesse de la différence, selon moi est de s’ouvrir et s’intéresser à l’autre.

C’est le sens de ma mission au sein de Paris 2024 : faire évoluer le regard, la perception du handicap, la tolérance ; et la perception des talents.

Jamais on ne parle des talents. Oui nous avons une déficience. On utilise beaucoup ce terme déficience mais jamais on ne parle des talents qu’ont pu générer cette déficience.

Com-Hom

Quels sont les talents de votre handicap ?

Ludivine Munos

J’ai développé une forme d’anticipation pour ne pas avoir à me déplacer ou pour ne pas me mettre en danger ; un peu comme dans le film où la personne vit les choses une minute à l’avance. Je vais anticiper la trajectoire d’un passant, un trou dans le sol là ou mon entourage pourrait se heurter à l’autre ou se fouler une cheville.

J’ai développé une ouïe exceptionnelle. Comme je ne marche pas facilement, j’ai dû écouter ce que font mes enfants dans la maison plutôt que me déplacer pour voir ce qu’ils font.

L’odorat, un truc de fou aussi. Et je n’arrive pas à en comprendre l’origine. Peut-être pour optimiser le ménage à réaliser :-). J’ai également développé une bonne affirmation de moi.

Com-Hom

Comment faire en sorte que les personnes arrivent à percevoir ces talents ?

Ludivine Munos

Ce n’est pas simple. Il faut faire le lien entre ces talents et les compétences nécessaires pour l’emploi professionnel.

Et puis, il arrive que les personnes en situation de handicap développent une  forme de surcompensation : ils vont souvent bien pour que l’entourage oublie le handicap et cela rejaillit sur l’équipe. Ils ont une forme de faculté à tirer les autres vers le haut, à toujours trouver, de façon optimiste, une solution.

C’est assez paradoxal : au final les personnes viennent me parler de leur problème alors que j’en ai peut-être quatre fois plus qu’eux :-). Et je pense qu’ils viennent aussi vers moi parce qu’ils sentent une forme du postulat : « à tout problème, il y a une solution ».

Com-Hom

Dans vos diverses expériences de vie, qu’est-ce vous retenez par rapport à cette richesse de la
 différence ?

Ludivine Munos

Dans mon expérience de DRH, j’ai appris les difficultés que les personnes peuvent vivre dans leur quotidien, des difficultés que l’on n’imagine pas. Au-delà du handicap, de l’environnement professionnel, il y a de vraies difficultés dans la vie. Elles ne sont pas forcément plus simples à gérer et il faut les prendre en compte dans l’environnement professionnel. L’écoute des managers est essentielle. La simple compréhension de la différence, de la difficulté permet souvent de débloquer une situation.

Encore faut-il qu’ils prennent/aient le temps d’écoute.

Com-Hom

Et pour autant, on rejoint là la problématique posée par Eliyahu M. Goldratt dans son livre le but : comment avancer en collectif avec nos différences ?

Ludivine Munos

Si on prend l’image de cette troupe qui avance avec une personne en difficulté, à mon avis, il faut faire  un mix de tout : à un moment donné on va  mettre la personne en difficulté devant, à un autre moment on va la porter, à enfin il faudra également la remettre debout et lui demander d’avancer.

C’est vraiment important. Autant il faut écouter et accompagner les personnes, autant, je ne tolère pas que les gens se servent de leur différence comme d’une excuse. Il est important que chacun réalise aussi sa part de contribution.

C’est un équilibre entre l’aide apportée à la personne et l’engagement de contribution demandé à cette personne. Et puis dans un autre temps, cette même personne apportera au collectif la richesse de ses talents.

Les managers peuvent également perdre le collectif  s’ils oublient de prendre le temps de revisiter et partager l’effort de chacun.

Com-Hom

Et sur les autres expériences ?

Ludivine Munos

L’expérience sportive m’a permis de comprendre ma différence. Je ne me voyais pas handicapée jusqu’au jour où je suis rentrée dans la compétition handisport : je me suis vue différente en voyant les autres.

Cette période m’a permis de me construire, en apprenant de moi-même : « Qu’est-ce que je peux faire ? Sur quel sujet je peux mettre de l’énergie ? Sur quel sujet je vais m’user  inutilement? ». 

Cette période m’a permis de réaliser des choix que j’applique au quotidien, d’évaluer le coût énergétique par rapport aux gains. J’ai arrêté certaines choses comme éplucher une pomme de terre J. Par contre je viens de m’inscrire à un « half ironman » en relai : 2 km dans l’eau car c’est le moment de retrouver de l’énergie dans l’eau.

Dans mon expérience de maman, la différence n’est pas prégnante.

Com-Hom

Et si l’on revient sur le regard de l’autre, qu’est ce qui pourrait être choquant pour vous ?

Ludivine Munos

Ce qui est choquant pour moi est quand on me demande l’origine de mon handicap. Là on passe dans la curiosité personnelle et cela n’a aucun intérêt pour venir en aide à l’autre.

Par contre tous les coups de mains sont les bienvenus. Ces petits coups de mains discrets qui vous changent la vie comme m’aider à remplir mes sacs à la caisse d’un supermarché. Sinon, j’espère que celui qui est derrière, dans la queue, a du temps J.

Toute proposition d’aide est bienvenue. Si je n’en ai pas besoin, j’exprime que « tout va bien, merci ». Il n’y a jamais de mauvaise proposition d’aide.

Com-Hom

Et quel est le pari de Paris 2024 ?

Ludivine Munos

Qu’un maximum de places soient vendues car, pour les personnes qui viendront assister aux jeux paralympiques, cela va transformer quelque chose dans leur vie. Cela va changer leur regard sur la performance et la capacité d’une personne en situation de handicap.  


Com-Hom

En conclusion, pour développer la richesse de la différence, changer le regard :

1/ On ne se voit pas naturellement différent.

2/ L’expérience et l’introspection permettent de comprendre et d’adopter ses fragilités et les talents qui en découlent (ou ses talents et fragilités qui en découlent J).

3/ La fragilité ne peut être une excuse pour être inactif : elle doit permettre d’identifier et d’optimiser  l’engagement énergétique à mettre par rapport à un enjeu, un objectif.

4/ Le temps pour écouter l’autre est essentiel pour comprendre, sortir du jugement, entrer en relation et partager talents et fragilités (cf l’article « oser la vulnérabilité pour avancer en collectif »). C’est la richesse de la différence qui s’installe.

5/ Tout coup de main discret pour aider l’autre dans sa fragilité est le bienvenu. Tout refus de coup de main est également légitime.

6/ Le temps de la reconnaissance collective, des efforts consacrés par chacun, permet de souder le collectif.

Je conclurai sur une phrase d’Alain Thomas :  « Nous sommes tous des handi-Capables ».

  • Quelles sont vos fragilités ?
  • Quel regard portez-vous sur les fragilités de vos collègues ?
  • Quel temps accordez-vous pour accorder, entre vous, vos talents et vos fragilités ?

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Ludivine MUNOS

Responsable Integration paralympique Paris 2024

Ludivine Munos :  

  • A l’âge de 11 ans, je découvre la natation et rejoint, en 1992, la Fédération handisport. Plus tard à l’âge de 13 ans, je deviens la plus jeune membre de l’équipe de France de natation. Trois ans plus tard, je remporte une médaille d’or et trois d’argent et une de bronze aux Jeux Paralympiques d’Atlanta de 1996. Cette même année, l’ancien Président de la République française, Jacques Chirac, lui remet la Légion d’honneur, faisant d’elle la plus jeune française décorée. Je participe aux Jeux Paralympiques de Sydney en 2000 puis d’Athènes en 2004 se consolidant comme multi-championne et multi-médaillée paralympique, l’une des athlètes françaises les plus décorées. Mon palmarès comprend : 12 médailles aux Jeux Paralympiques dont 3 Or, 7 en argent et 2 en bronze, 6 titres Mondiaux, 1 médaille d’argent et 5 médailles de Bronze. 22 titres de Championne d’Europe.
  • Parallèlement à mon entrainement, je poursuis des études de Droit des Affaires à Lyon et un Master II de Management et Administration des entreprises à l’IAE d’Aix-en-Provence.
  • Entre 2004 et 2020, j’exerce différentes fonctions au sein du groupe EDF, en tant que Cadre Fiscaliste, puis Manager, puis Chef de pôle de Ressources au sein de la Production hydraulique et finalement, Directrice des Ressources Humaines.
  • Maman de deux garçons, je me mobilise régulièrement pour partager mon expérience dans le haut niveau auprès des entreprises, des écoles et des associations.
  • En mai 2020, je rejoins le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en tant que Responsable de l’Intégration Paralympique, où je suis chargée de l’intégration des spécificités paralympiques, de l’accessibilité et de la transition entre les JO et les JP.
Marc VILCOT
Com-Hom

Marc Vilcot : J’ai vécu 17 années enrichissantes de vente et management dans l’industrie. De formation technique (Grenoble INP 89),  mes préférences créatives et relationnelles m’ont vite orienté vers des activités commerciales et marketing : directeur commercial (1997-2007). En 2008, je me suis investi dans la formation et l’accompagnement, poursuivant ainsi, dans des contextes variés, le développement de la performance par « le travailler ensemble ».

Je trouve en Com-Hom : confrontation de nos approches, évolution permanente de nos pratiques, laboratoire d’idées, confiance. J’accompagne et je forme en management d’équipe, vente & négociation, performance individuelle et collective, lecture des personnalités, régulation des relations & gestion de conflit, cohésion d’équipe & coopération.

Copyright 
Les textes sont la propriété de Com-Hom Crédit photographique : Com-Hom, Adobe Stock, Ludivine Munos