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11 juin 2015Samurai Selling
20 juillet 2015« Laurent, dessine moi une négociation… »
Qui de mieux qu’un ancien négociateur du RAID, Laurent Combalbert, pouvait illustrer le sujet de ce magazine : la négociation. Com-Hom est donc allé en juillet à sa rencontre.
« Si il n’y a pas conflit entre deux positions, il n’y a pas négociation » nous dit Laurent. « Mais le conflit ne veut pas dire le combat. C’est une opposition… ». Quand on négocie, on gère avant tout du facteur humain…
Marc Vilcot, Com-Hom (MV) : Qui est Laurent Combalbert ?
Laurent Combalbert, ADN (l’Agence Des Négociateurs) (LC) :
Je suis un négociateur professionnel. Je travaille sur des négociations qui vont de la gestion d’un kidnapping au Mexique, jusqu’à la gestion d’une fusion acquisition, d’un conflit social ou la relation patient/médecin sur l’observance thérapeutique.
MV : C’est ce que tu fais. En tant que personne tu es qui ?
LC : Je suis ce que je fais. Je viens du monde de la gestion des conflits puisqu’à l’origine je suis officier de police. J’ai fait des études de droit et de sciences politiques. J’ai intégré la police pour rejoindre le RAID, m’occuper de la négociation. J’ai vu ensuite que je pouvais essaimer autour de moi, pour un certain nombre d’organisations, sur des méthodes de négo et ma capacité à résoudre des conflits.
MV : Et ta boite ADN fait quoi ?
LC : ADN travaille sur tout ce qui est négociation complexe. C’est-à-dire une situation qui met en œuvre de l’incertitude. Cette incertitude crée de l’insécurité, ce qui pousse les gens à réagir en mode conflictuel sous le stress ou la tension. C’est à ce moment là que l’on rentre en jeu, soit dans la prévention de ces situations, soit à chaud pour dénouer la situation déjà prise dans le conflit.
MV : Comment définis-tu, de la manière la plus simple, la négociation.
LC : C’est un conflit entre deux positions. S’il n’y a pas conflit, il n’y a pas négociation. Mais le conflit ne veut pas dire le combat. Cela veut dire l’opposition. Et notre rôle est de regarder comment créer de la valeur ajoutée pour résoudre le conflit.
MV : Si je joue au Petit Prince, dessine-moi une négociation.
LC : la base du triangle représente les 2 parties prenantes et leurs enjeux. Le haut du triangle représente l’objectif commun partagé; Comment faire adhérer les parties à un objectif commun pour créer de la valeur ajoutée.
MV : note
Laurent ne me regarda pas avec des yeux tout ronds d’étonnement. Mais mon visage s’illumina en partageant avec lui le dessin Com-Hom.
MV : Quelles sont les différences entre une négociation au sein du RAID et au sein d’une entreprise.
LC : Les enjeux. Au RAID, on a des enjeux vitaux immédiats. Dans une entreprise, les enjeux sont parfois vitaux mais avec beaucoup plus de durée. Tout le reste est identique. Le process que j’utilise en négociation aujourd’hui est celui que j’ai créé au sein du RAID. C’est exactement les mêmes questions que l’on se pose.
MV : Tu parles de process et tu critiques dans tes conférences les procédures du FBI. Quelle différence y fais-tu ?
LC : Pour moi une procédure apporte des réponses. Un process apporte des questions. Nous parlons d’ailleurs de référentiel de questions. Nous avons une colonne vertébrale de questions et chaque négociateur trouve la réponse la plus adaptée à la situation.
MV : Donne-moi 5 questions clés…
LC :
Qui est décideur, qui est négociateur ?
Quel est mon mandat ?
Quelle est la fausse position de la partie adverse ?
Quel profil ? (culturel, groupe d’appartenance, profil psychologique)
Quel sociogramme ? (les vraies relations de pouvoir)
MV : Donc beaucoup de focalisation sur la personnalité. Qu’est-ce que vous cherchez derrière ces personnalités ?
LC : Qu’est ce qui crée de la complexité dans la négociation ? Le facteur humain. C’est tout.
MV : Qu’est ce qu’on va chercher chez ce facteur humain ?
LC : On ne va rien chercher. On va découvrir ce que lui vient chercher. On va voir ce qu’il attend de la négociation pour pouvoir ensuite aligner les objectifs. Ce n’est pas très compliqué la négociation. C’est la mise en œuvre qui est compliquée.
MV : C’est quoi les grandes étapes ?
LC :
1ère étape : Les relations de pouvoir
2ème étape : L’analyse de contexte
3ème étape : La cartographie d’acteurs
4ème étape : La stratégie
5ème étape : Comment on le fait en équipe
(on ne négocie jamais tout seul même quand on est seul en face à face)
6ème étape : L’influence et la relation
7ème étape : La clôture
Et ensuite l’apprentissage par le débriefing
Le processus s’appelle PACIFICAT : il n’enchaine que des questions. Chacun utilise les questions en fonction de son contexte.
MV : Il y a donc deux étapes qui mettent en jeu les 2 acteurs. Il y a donc énormément de préparation.
LC : Oui. C’est 70% de préparation et 30% d’improvisation.
MV : qu’est-ce qu’on improvise ?
LC : Tout. On ne peut pas anticiper ce que l’autre va dire, comment il va réagir. C’est pour cela que l’utilisation des techniques comportementales est indispensable. On apprend à lire les micro-expressions émotionnelles pour savoir quelles sont les vraies émotions de la personne, même au téléphone. Quelqu’un de bien entrainé est capable de voir 9 fois sur 10 les vraies émotions de la personne et donc également de déceler les émotions feintes.
MV : Tu parles beaucoup dans tes conférences de l’émotion dans la négociation. Qu’est ce que tu peux me dire sur le sujet ?
LC : L’outil principal de la négociation, c’est la relation. S’il n’y a pas émotion, il n’y a pas relation. Quand tu délivres une liste d’arguments à une partie adverse, même si ces arguments sont parfaits pour elle, si elle n’est pas à l’écoute, elle ne les entendra pas. Donc on commence par créer le lien. L’outil de la relation, c’est l’empathie. L’outil de l’empathie, c’est l’émotion.
MV : Comment tu traites l’émotion une fois délectée ?
LC : Tu la verbalises et tu permets à la partie adverse de la verbaliser. Une fois que tu as créé la relation, c’est-à-dire que tu as dit à la partie adverse qu’elle a le droit d’avoir des émotions que ses émotions sont légitimes (même si toi, tu ne les trouves pas légitimes, pour elle, elles le sont), à partir de là tu peux commencer à travailler sur le raisonnement de la négociation. Tu as purgé le côté émotionnel qui peut venir troubler la relation. Tu peux donc commencer à comprendre ce qu’elle veut vraiment et ce qu’est réellement son objectif.
MV : Comment tu sais que la personne a basculé ?
LC : Tu le sais parce que tu vas percevoir un relâchement de la tension. Et tu vas réussir à l’amener sur un objectif commun.
MV : Comment rentres-tu en empathie avec quelqu’un qui est en dehors de tes valeurs ?
LC : Je ne suis pas là pour avoir les mêmes émotions que lui. Je peux être empathique sans être sympathique. Le danger en négociation est d’être sympathique : tu vois l’émotion, tu la reconnais, tu la verbalises et tu l’éprouves toi-même. Alors que empathique : tu vois l’émotion, tu la reconnais, tu la verbalises mais tu ne l’éprouves pas. Donc je peux négocier avec quelqu’un qui n’est pas dans mes valeurs. C’est donc plus facile. C’est beaucoup plus dur avec nos enfants car on est forcément sympathique avec nos enfants et il faut gérer cela.
MV : Comment te prépares-tu à la négociation ?
LC : Il faut beaucoup pratiquer pour que la musique de la préparation devienne automatique. C’est une préparation très technique suivie du lâcher prise quand tu commences. On utilise beaucoup l’intuition en situation.
MV : Comment fais-tu la différence entre intuition et interprétation ?
LC : Je débriefe systématiquement mes intuitions pour les valider ou pas. Quand j’ai une intuition, je la note. Et ensuite je vais voir si elle a été bonne ou pas. Si elle a été bonne, je l’ancre. Si elle n’a pas été bonne, j’essaie de voir si ce n’était pas une interprétation. Plus je fais cela, moins je fais d’interprétations. Ce qui n’est pas confortable car c’est très confortable de tout interpréter pour le rendre cohérent avec ton modèle. Par contre, c’est plus efficace car tu regardes juste les choses de manière objective, sans mettre ta peinture, ta grille de lecture. Il n’y a plus d’incertitude.
L’intuition est un outil très rationnel que l’on peut travailler.
MV : Y-a-t’il des moments où tu sors du système : retrouver de l’interprétation qui redonne du confort ?
LC : Non, parce que cela m’intéresse plus. L’interprétation te donne l’impression de comprendre plus vite mais tu ne comprends pas la réalité. Je préfère voir les choses moins confortables pour moi mais voir les choses telles qu’elles sont vraiment. J’interprète très peu et j’ai une vision très objective de ce qui se passe. Et c’est ce que mes clients recherchent.
Quand je débarque dans une négo, ils savent que je vais leur dire des choses qu’ils ne veulent pas entendre. Ils me payent très cher pour que je leur dise ce qu’ils ne veulent pas entendre. Mais quand c’est juste, cela fonctionne. Et c’est très souvent juste. Je connais mes biais décisionnel et je sais m’en protéger.
MV : Comment on analyse ses biais décisionnels ?
LC : Expérience et débriefing. Il faut être humble. Je passe mon temps à me débriefer. Tu ne passes pas à la négo suivante sans te débriefer.
MV : Comment conclure ?
LC : Négocier, ce n’est pas convaincre. C’est induire le changement chez l’autre. Et je ne peux pas induire le changement si je n’ai pas compris pourquoi la personne pourrait changer. L’habitude que les gens ont, c’est de convaincre.
Pour négocier, il faut aimer les gens, même les pires crapules. Si tu n’aimes pas les gens, tu rentreras dans une fausse relation, tu es cynique et cela se verra tellement. Il faut qu’il y ait cette capacité à vouloir rentrer en relation avec les gens.
Très souvent les gens considèrent la négociation comme du combat. Pas du tout. Les plus grands négociateurs sont des gens qui aiment les autres. Se sont des philanthropes.
MV : Tu as écrit 14 bouquins. Lequel privilégier pour nos lecteurs qui travaillent en entreprise ?
LC : Négocier en situation complexe. C’est celui qui parle le plus de négociation.
Le plus indiqué sera le prochain. C’est mon dernier bouquin parce que je n’en sortirai plus d’autre : négocier avec les profils complexes.
MV : Et le message à délivrer aux entreprises ?
LC : Considérez que la négociation crée de la valeur ajoutée et que le conflit n’est pas un problème. Par contre, le combat systématique est un problème
MV : Merci Laurent pour cet entretien.
LC : De rien. J’ai vu ce que vous faites et c’est pour cela que nous nous voyons aujourd’hui. Je trouve que l’approche est intéressante, généreuse avec la volonté de donner de l’info et de partager.MV : Cela me fait plaisir.
Laurent COMBALBERT :
Diplômé de la Faculté de Droit de Toulouse, de l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Police et de la National Academy du FBI, Laurent Combalbert a exercé des fonctions de commandement au sein des Sections de Protection et d’Intervention avant de rejoindre le RAID, l’unité d’élite de la Police Nationale, en 1998.
Officier-Négociateur au sein du RAID, il a contribué à la création de cette spécialité au sein de la Police Nationale et a formé de nombreuses forces d’intervention dans le monde. En situation de disponibilité à partir de 2004, il a exercé des fonctions de direction au sein d’un groupe international et a organisé et conduit plusieurs dizaines de gestions de crise : évacuations politiques, kidnappings, prise en otage de systèmes d’information, arrestations arbitraires, contaminations malveillantes de produits…
Fondateur de l’Agence des Négociateurs, qu’il dirige avec Marwan Mery, Laurent Combalbert s’appuie sur son expérience de la négociation et du management des situations complexes pour accompagner, former et conseiller managers et dirigeants en France, en Europe, en Asie et aux Etats-Unis. Il réalise plus de 200 interventions par an, dans le cadre de formations, séminaires, conventions, réunions de Comités de Direction et au profit d’Universités d’entreprise. Consultant auprès de nombreuses sociétés et compagnies d’assurances, Laurent Combalbert est membre du comité scientifique de l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et de Justice, enseigne au sein du groupe HEC et est expert pour l’Association Progrès du Management. Il intervient très régulièrement auprès des médias français et internationaux pour commenter les situations de conflit et de négociation : CNN, BFM TV, France 5, Europe 1, i>Télé, RMC, China Radio International…
Marc Vilcot : J’ai vécu 17 années enrichissantes de vente et management dans l’industrie. De formation technique (Grenoble INP 89), mes préférences créatives et relationnelles m’ont vite orienté vers des activités commerciales et marketing : directeur commercial (1997-2007). En 2008, je me suis investi dans la formation et l’accompagnement, poursuivant ainsi, dans des contextes variés, le développement de la performance par « le travailler ensemble ».
Je trouve en Com-Hom : confrontation de nos approches, évolution permanente de nos pratiques, laboratoire d’idées, confiance.
J’accompagne et je forme en management d’équipe, vente & négociation, performance individuelle et collective, lecture des personnalités, régulation des relations & gestion de conflit, cohésion d’équipe & coopération.
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